Depuis son retour au pays en 2023, Sareee s’épanouie en écrivant elle-même sa propre histoire. Les shows Sareee-ISM qu’elle produit sont le reflet de cette volonté. Des événements rapidement devenus incontournables, mêlant hommages au passé et mise en avant d’une nouvelle génération aspirant à s’en montrer digne. Pour ce huitième chapitre, la déesse du Soleil offre au monde un espoir. L’espoir de la voir un jour croiser le fer avec le personnage le plus en vogue du joshi actuel : Saya Kamitani. Deux personnalités que tout oppose, qui partagent aujourd’hui le même ring pour la première fois dans l’intimité du Shinjuku FACE de Tokyo.
Sareee ouvre le bal devant 599 de ses fidèles, un record pour Sareee-ISM et pour le Shinjuku FACE en 2025. Sourire aux lèvres, elle présente fièrement à son audience la prestigieuse ceinture IWGP, remportée le 21 juin dernier face à Syuri lors de l’événement Stardom The Conversion (review disponible ici). Un sourire radieux qui ne la quittera pas lors de l’annonce d’un show célébrant ses 15 ans de carrière, le 22 mars 2026 au Yokohama Budokan. Un changement de dimension, l’arène pouvant accueillir jusqu’à 3 000 personnes.
Honori Hana vs Sayaka Toyota (10 minutes Time limit draw)
Comme à son habitude, Sareee confie à la relève la responsabilité d’ouvrir le show. Avec une limite de temps de 10 minutes, les deux jeunes talents savent qu’elles n’ont pas d’autre choix que d’appuyer immédiatement sur l’accélérateur et s’engagent dans un sprint qui remplira largement sa fonction d’opener. Dès les premières secondes du match, elles font preuve d’une intensité et d’un mordant bluffants. On ressent leur passion, leur envie de se montrer à la hauteur de la tâche et, surtout, leur volonté logique d’en finir au plus vite. Le cadre intimiste, la pénombre qui entoure le ring et l’absence de commentaires sur les shows Sareee-ISM offrent une plongée en immersion au sein de leurs émotions. Dans le silence du Shinjuku FACE, on entend leurs respirations, leurs cris de douleur et leur frustration grandissante à mesure que le temps s’écoule. Un rapport au corps et à l’effort différent. L’exigence de la performance physique occupe le devant de la scène.
Hargneuses et expressives, elles laissent transparaître une agressivité crédible et apportent une dose de réalisme à leur prestation globale. Honori Hana, catcheuse chez SEAdLINNNG et Ice Ribbon, entrainée par Nanae Takahashi et Arisa Nakajima, combat comme si sa vie en dépendait. C’est la troisième fois qu’elle est conviée par Sareee, et ça se voit. Son adversaire, protégée de Yumiko Hotta, n’en est qu’à sa première mais lui offre malgré tout un solide répondant. À l’entame de la dernière minute du combat, elles lancent une phase finale rythmée par leur désespoir et proposent quelques belles nearfalls. Un sentiment d’urgence convaincant. Aucune ne va cependant parvenir à l’emporter dans le temps imparti et le match nul est acté. Réticentes à admettre leur échec, elles continuent de se battre après la cloche dans une courte scène illustrant parfaitement leur soif d’en découdre et leur désir ardent de gravir les échelons. Mission plus qu’accomplie.
Yumiko Hotta & Kaoru Ito battent Rian & Aya Sakura (13 minutes)
Hotta et Ito totalisent à elles deux plus de 5200 combats et 75 années de carrière. Des monuments du joshi, présentes lors des plus belles heures de la All Japan Women’s Pro Wrestling, qui se dressent telles deux montagnes devant leurs adversaires du soir. Dans la plus pure tradition japonaise, cet affrontement entre jeunesse et expérience offre des possibilités narratives aussi riches qu’efficaces. La plateforme est idéale pour mettre en avant la volonté et la détermination des plus jeunes, confrontées à la confiance et la nonchalance des vétéranes. Une nonchalance qui parvient à brillamment camoufler les lacunes physiques des deux légendes. Hotta et Ito sont physiquement démolies et incapables de prendre le moindre bump conséquent à ce stade de leur parcours mais parviennent malgré tout à trouver les moyens d’encore apporter à leur discipline. Impassibles, sûres d’elles et cruelles, elles s’amusent à briser les corps et les rêves de leurs cadettes.
Comme prévu, Aya Sakura et Rian excellent dans ce contexte. Elles donnent tout, tentent tout, et attirent immédiatement la sympathie d’un public qui pousse derrière elles. Chaque sursaut, chaque tentative de comeback, suscite une réaction toujours plus grande. Leur fighting spirit brille de mille feux et parvient à faire naître une minuscule lueur d’espoir. Une lueur d’espoir qui, bien que rapidement anéantie, donne tout son sens au catch. Le résultat final est bien plus proche d’une destruction en bonne et due forme que d’un match compétitif, mais l’essentiel n’est pas là. Les deux jeunes femmes réussissent à créer une connexion loin d’être anodine avec la foule. Un lien forgé dans la douleur. Un lien durable. Elles souffrent et le public souffre avec elles. Une implication émotionnelle qui tire vers le haut un combat à la structure classique mais infaillible. Une vraie réussite narrative.
DASH Chisako bat Chi Chi (8 minutes)
Professionnelle depuis à peine deux ans, Chi Chi a participé à 7 des 8 événements Sareee-ISM. La combattante qui reprend l’imagerie de l’univers Barbie est à n’en pas douter la plus grande gagnante de l’initiative de Sareee. Une valeur sûre de l’undercard et un nom à suivre de très près. Sa progression constante se poursuit aujourd’hui dans cet affrontement prometteur avec DASH Chisako, élève de Meiko Satomura, établie chez Sendai Girls, Diana, WAVE et GLEAT. Un combat intense et soigneusement rythmé qui choisit de mettre en exergue la dureté des deux protagonistes. Chisako endosse parfaitement son rôle de heel et Chi Chi conquiert les cœurs par son selling, sa résilience et un moveset particulièrement impactant, idéal pour se mettre dans la poche un public vénérant la brutalité de Sareee. Les échanges de strikes sont précis, incisifs, et magnifiés par le cadre. La séquence de fin est particulièrement savoureuse et le public se laisse volontiers happer par la perfection des kicks de Chi Chi et les démonstrations de rudesse de DASH Chisako. Un match excitant, cohérent et propre dans son exécution, dont on ressort un tantinet frustré tant on aurait aimé qu’il se poursuive encore quelques minutes.
Natsupoi bat Miku Kanae (13 minutes)
Présente sur la carte depuis quatre shows, la jeune Miku Kanae est fortement tenue en estime par Sareee qui voit en elle un talent au potentiel illimité. Elle devait affronter Natsupoi lors du Chapitre VII mais la blessure de celle-ci a repoussé l’échéance. Jusqu’à aujourd’hui. La dynamique de ce combat est on ne peut plus étonnante puisque Natsupoi, l’une des meilleures babyfaces de la planète, joue ici le rôle de l’agresseuse. Après s’être laissée surprendre d’entrée par la fougue de son adversaire à l’expérience limitée, la fée au twirling bâton va changer de tonalité, reprendre le contrôle et embrasser un côté davantage sournois pour exprimer sa frustration. Natsupoi, sourire angélique vissé au visage, récite une partition à la fois comique, diabolique et pleine de vice, pour le plus grand bonheur d’une foule complice. Une prestation qui fait mouche, rendue possible par l’acting théâtral et surjoué de l’arbitre qui engage un jeu du chat et de la souris réussi avec la heel d’un soir.
Une première partie aux allures de comedy match qui introduit parfaitement les deux personnages et constitue une base innovante et créative pour un deuxième acte bien plus sérieux. Miku interrompt les facéties de Natsupoi et se bat corps et âme pour lui résister. Ses expressions corporelles et faciales lorsqu’elle est prise au piège dans des soumissions sont les véritables moments forts du combat. Elle se débat, lutte pour sa survie, et livre une performance de babyface exceptionnelle, digne de celles de son adversaire du jour. Selling, bumps, détermination, manifestation de l’épuisement, représentation du désespoir, expression de la douleur, tout est parfait. Dans un dernier élan de vie, elle tente une série de petits paquets qui voit la foule croire réellement à l’exploit. Mais l’univers crée par Sareee est impitoyable et la vaillante babyface va une fois de plus finir par s’incliner face à son aînée. Poussée dans ses retranchements, Natsupoi sort victorieuse d’un excellent combat, à la structure ingénieuse et audacieuse. On a envie d’en voir plus de la part d’une Miku Kanae qui confirme à chaque apparition les immenses espoirs placés en elle. Natsupoi, quant à elle, nous montre toute l’ampleur de sa palette et rappelle à qui serait tenté de l’oublier qu’elle fait partie de l’élite mondiale.
Spark Rush (Sareee & Takumi Iroha) battent H.A.T.E. (Saya Kamitani & Natsuko Tora) (18 minutes)
Évoluant dans des coins opposés lors des chapitres II et IV, Sareee et Takumi Iroha font aujourd’hui équipe. Ensembles, elles sont championnes AAAW sous le nom de Spark Rush. Un duo de rêve qu’on peine à imaginer détrôné. Si Sareee a remporté le titre IWGP le mois dernier, Iroha n’est pas en reste et vit elle aussi une année de tout premier plan. Non contente de participer grandement à l’essor de la promotion Marvelous aux côtés de nouveaux visages comme Senka Akatsuki, elle est également devenue la deuxième championne GHC de l’Histoire. Ce sont donc deux noms majeurs de la scène joshi que viennent défier les têtes d’affiche de la faction H.A.T.E, Natsuko Tora et la championne Stardom, Saya Kamitani.
En bonnes heels, elles attaquent pendant l’introduction de Sareee et crachent instantanément sur les valeurs que prônent la déesse du Soleil. Le combat démarre à l’extérieur, sous les hués, pendant que le ring est débarrassé d’une quantité astronomique de streamers. Une atmosphère hostile dont se délecte Saya Kamitani. Elle se nourrit du chaos, en joue intelligemment, et prend un malin plaisir à toiser un public acquis à la cause de ses adversaires. Sareee et Iroha se succèdent tour à tour dans le rôle de face en péril dont les tentatives de sortir la tête de l’eau sont constamment coupées court par les triches et interventions de H.A.T.E.
Endurcie par sa traversée des flammes en compagnie de Tam Nakano, Saya Kamitani se montre à la hauteur de son statut. Elle mène la heat de main de maître et rythme le combat en patronne. Une superbe prestation de heel qui démontre une fois de plus sa polyvalence. Démonstrative, divertissante et charismatique, elle prouve ici qu’elle est également capable de tenir la dragée haute à Sareee lorsque le niveau d’intensité physique monte de plusieurs crans.
Peu à peu, la trame narrative se dévoile et l’on réalise que Sareee prend les spectateur·rices à contre-pied et assume son choix de ne pas structurer le combat autour de sa confrontation attendue avec elle. Une volonté noble d’accorder la même importance à tout le monde qui paraîtrait surprenante partout ailleurs, mais pas ici. Sareee-ISM n’est pas une somme d’individualités mais bien un ensemble. Le match qu’on aurait pu percevoir comme un preview tag s’en éloigne rapidement et la séquence d’échange de strikes entre Saya Kamitani et Sareee n’est ni centrale, ni un point culminant dans le squelette du récit. Dans la séquence finale, c’est même Natsuko Tora qui est mise en avant, Sareee adorant devoir puiser dans ses réserves physiques et mentales en adoptant une posture d’underdog face à une stature plus imposante que la sienne.
Après une série de nearfalls, c’est à Takumi Iroha, toujours excellente, que revient l’honneur du tombé victorieux suite à une intervention ratée de Momo Watanabe. Une intervention en guise de défiance qui vient parasiter la noblesse de l’environnement que souhaite créer Sareee. Elle vient mettre fin à un main event qui souffrira malheureusement de la comparaison avec les classiques des événements précédents. S’il n’a jamais atteint leur hauteur, il n’en reste pas moins un combat de très bonne facture, porté par un public captivé.
H.A.T.E. étant incapable de faire preuve de fair-play, le cérémonial final traditionnel se transforme en bagarre générale avec les attaques successives de Konami et Momo Watanabe. Chi Chi et Miku Kanae montent en grade et viennent sauver les leurs. L’histoire ne fait que commencer et la table est dressée pour un affrontement futur.
Pour finir en beauté, Sareee et Takumi Iroha sont rejointes par nulles autres que les Crush Gals, Chigusa Nagayo et Lioness Asuka, véritables icônes des années 80. Avec cette apparition, Sareee se mue en garante des traditions et continue d’afficher son désir d’honorer les aînées, de veiller au devoir de mémoire et de faire le lien entre la nouvelle génération du joshi et son glorieux passé.
Après 7 shows au format similaire et des cartes en guise de mises en bouche avant un final en apothéose, Sareee change de direction et adopte une formule plus homogène que jamais. L’undercard se solidifie à mesure que les jeunes talents qu’elle a choisi de mettre en avant progressent mais, pour la première fois, le clou du spectacle déçoit quelque peu. Si l’on comprend bien que Sareee et Saya Kamitani en gardent sous le coude pour un affrontement futur qui semble désormais inévitable, le main event, en deçà des standards habituels, nous laisse malgré tout avec un petit goût d’inachevé. Pas de classique en vue pour ce huitième chapitre. Le show en pâtit légèrement et cette déception relative met surtout en avant le niveau d’exigence exceptionnel qui entoure les événements produits par Sareee. Une exigence qui résonne comme le plus beau compliment que l’on puisse lui faire. Sareee comprend le catch et on le ressent dans sa façon de concevoir ses productions. Chaque détail est maîtrisé. Le lieu sert l’action, le casting est pertinent, les rôles parfaitement identifiés, les matchs intelligemment agencés et la carte habilement montée. Tout est réfléchi, pesé, pensé. Et tout sonne juste. Tout le monde sort grandi de ces 2h30 particulièrement digestes. Le catch y est simple mais diablement efficace. Une proposition passionnée, authentique, chimiquement pure, et d’une qualité constante. Les shows Sareee-ISM demeurent un vrai bonheur et, à un peu plus de la mi-parcours, Sareee reste sur les talons de Tony Khan dans la course au titre de booker de l’année.
Texte : Le Dernier Rang
Crédits photo : Kevyn Mullen (@kevMullen23)
Article complémentaire : Sareee, Redéfinir la notion d’indépendance
