En six années d’existence, la AEW a indéniablement changé la face du monde du catch. Pour beaucoup, elle apparaît comme une fenêtre ouverte sur un univers infiniment plus vaste que la perspective américaine ne le laissait jusqu’alors penser. En ce 18 juin 2025, elle est accueillie en terre sacrée : l’Arena Mexico. Une terre qu’elle n’aborde pas en conquérante mais bien en invitée soucieuse de respecter une tradition qu’elle souhaite honorer plutôt que s’approprier. Un épisode hebdomadaire de Dynamite à la saveur toute particulière qui se présente comme une célébration d’une culture, d’un peuple et, surtout, d’un lieu.
Pour l’occasion, la cathédrale de la lucha libre est préservée. Un bonheur de contempler ses légendaires escaliers, sa rampe et ses tapis bleu azur bien présents autour du ring. Un ring sacralisé et aujourd’hui immaculé. La AEW ne daigne pas y apposer son logo, même pour un soir. Un signe de respect confirmé par une entrée en matière qui donnera le ton de la soirée.
À trois semaines de son rendez-vous avec l’Histoire, le 12 juillet à All In Texas, Hangman Adam Page a l’honneur d’être le premier à pénétrer le temple. Un honneur dont il se montrera digne. À la surprise générale et au plus grand plaisir d’une foule conquise, c’est en espagnol qu’il s’adresse aux spectateurs venus remplir l’Arena Mexico. Un espagnol maîtrisé, à la tonalité délicate et révérencieuse, illustrant la sincérité d’une démarche qui pose les bases d’une collaboration authentique. Un réel partenariat.
Son discours saluant les travailleurs mexicains et prônant des valeurs d’union et de solidarité est fondamental dans le contexte actuel. S’il concerne la quête de rédemption de son personnage qui passera visiblement par l’acceptation renouvelée de ses pairs et leur engagement à ses côtés, il résonne également à bien d’autres égards. Dans une Amérique qui se soulève pour dénoncer la politique migratoire de Donald Trump, ses vagues d’interpellations d’étrangers en situation irrégulière et sa répression brutale, ces paroles, tenues par un américain au Mexique, portent un sens fort. Une parole noble et courageuse. L’on pourra également y voir une volonté de faire front commun face à la WWE et ses velléités expansionnistes qui, après s’être attaquée au territoire anglais, a récemment jeté son dévolu sur le marché mexicain en rachetant la AAA. Quoi qu’il en soit, cette promo renforce son statut de principal babyface de la compagnie et fait de lui un héros rassembleur, juste et proche du peuple. Une formule gagnante.
14-Man Tag Team Match
Adam Cole, Daniel Garcia, Brody King, Bandido, Templario, Atlantis & Atlantis battent Dax Harwood, Kyle Fletcher, Konosuke Takeshita, Josh Alexander, Hechicero & Lance Archer (16minutes)
Brody King profite de cette exposition privilégiée pour faire passer un message retentissant en arborant un t-shirt « Abolish ICE » (Immigration and Customs Enforcement), l’agence fédérale américaine chargée de l’application des lois sur l’immigration. L’initiative, aussi symbolique soit-elle, est louable et apporte encore davantage de visibilité à un mouvement contestataire qui gagne en ampleur depuis quelques semaines. Le catch, comme toute autre production culturelle, est politique, et la AEW brille par la liberté d’expression qu’elle laisse à ses employé·e·s.
Place à l’action qui démarre par un festival aux airs de cour de récréation pour les catcheurs présents. La formule, proche de celle des house shows, fonctionne à tous les niveaux. Elle permet de faire catcher le plus de talents possible dans un lieu de légende, de tester leurs niveaux de popularité, de créer un cadre propice à un rythme soutenu et de poser des bases pour de futurs affrontements tout en faisant avancer plusieurs storylines à la fois. Tradition mexicaine oblige, les tags ne sont pas nécessaires et laisser sa place dans le ring suffit pour qu’un autre participant puisse l’intégrer. Un environnement fun et dynamique renforcé par la haine démesurée que voue l’arène à Atlantis Jr, jeune symbole d’un népotisme à faire pâlir Louis Sarkozy. Une détestation qui va jusqu’à dégouliner sur son père, pourtant légende absolue de la discipline. Adam Cole jouit d’une popularité immense qui, le temps d’une soirée, fait plaisir à voir. Brody King, Hechicero et Bandido sortent du lot et apparaissent comme les grands gagnants d’un quart d’heure de festivités qui répond aisément au cahier des charges : fournir un bon moment de catch, simple et sans prétention, en offrant à chaque protagoniste son moment de gloire.
Kazuchika Okada bat Mark Briscoe (13 minutes)
Okada est reçu comme la star internationale qu’il est. Mark Briscoe s’est établi depuis sa première apparition dans le Continental Classic comme un babyface tout terrain d’une sûreté rare pour la promotion de Tony Khan. Une capacité à rallier la foule à sa cause qui fonctionne beaucoup moins qu’à l’habitude dans ce combat grandement éloigné des schémas de lucha libre traditionnels. Okada dicte un tempo lent et méthodique et la heat sur Mark Briscoe est bien trop longue pour un public habitué à plus de rythme. Quelques séquences comiques bien senties parviennent à faire légèrement réagir mais la proposition globale reste étonnamment décevante vu l’expérience des deux hommes. Un combat fade qui n’a pas su adapter sa structure à son audience et en a payé le prix fort.
Mistico bat MJF via DQ (17 minutes)
MJF ressuscite sa gimmick de héros américain pour ce match en territoire ennemi. Des ficelles nationalistes qui, bien que débattables en 2025 dans un contexte international d’une brutalité inouï, produisent toujours des résultats convaincants. Ce n’est pas leur efficacité qui pose question mais bien leur place au sein d’un milieu que l’on souhaiterait libéré de ces procédés datés.
Mistico incarne la figure divine et porte les espoirs de tout un peuple sur les épaules. Il pénètre l’enceinte en idole, mettant fièrement en avant un masque combinant ses traits à ceux de ses deux acolytes, Neón et Mascara Dorada. Une entrée mémorable, accompagnée de son thème populaire, Me Muero, véritable hymne qui s’apparente ici à un chant religieux lorsque ses adorateurs le reprennent à l’unisson. Ses prochaines apparitions aux États-Unis vont clairement bénéficier de ce moment qui illustre l’ampleur du phénomène Mistico mieux que n’importe quel video package.
Le combat récolte les fruits de cette implication émotionnelle et crée les conditions d’une atmosphère surchauffée en y ajoutant tout un tas de techniques connues pour impliquer le public. Fuite du heel, babyface qui survit de justesse au décompte à l’extérieur, heel qui abandonne sans que l’arbitre ne le voit, triches multiples, tout y passe. Et tout fonctionne à merveille. MJF n’a pas peur de théâtraliser au maximum sa performance et d’embrasser pleinement le ridicule. Mistico est en pilote automatique et n’a plus qu’à surfer sur la vague d’émotions que lui renvoie la foule.
La présence du Hurt Syndicate aux abords du ring est un vrai plus. Elle permet à MJF de prolonger sa phase de domination sans nuire à la crédibilité de son adversaire tout en maintenant la foule vocale et engagée face aux injustices qu’elle constate. MVP apporte même une contradiction bienvenue au personnage problématique de MJF en étant perceptiblement irrité par les excès de son nouveau protégé. Un MJF qui, dépité de ne pas réussir à vaincre celui qu’il dénigrait, va s’abaisser à un ultime low blow pour provoquer une disqualification aux allures de seul échappatoire. Le public est furieux et le sera encore davantage lorsque le natif de Long Island va démasquer Mistico, signe de déshonneur total dans la culture mexicaine.
La foule, outrée, va rapidement retrouver le sourire grâce au sauvetage énergique de Mike Bailey et Kevin Knight. Deux signatures récentes dont le style particulièrement adapté au format TV a contribué à insuffler de la vie aux émissions hebdomadaires de la compagnie. Un rôle de dynamiteurs du midcard qui leur va à ravir, comme les paires de Air Max 90 et 97 qu’ils portent aujourd’hui. Leur apport est inestimable depuis leur arrivée.
4 million pesos high flying 4-way
Hologram bat Ricochet, Lio Rush et Mascara Dorada (16 minutes)
Tony Khan est friand de ces stipulations aux enjeux financiers, comme s’ils étaient nécessaires pour légitimer la raison d’être d’un match de catch lors d’un show de catch. La simple notion de compétition devrait être une motivation suffisante. Le combat s’apparente d’abord à un match par équipes avant que les alliances de circonstance n’explosent en vol, laissant place à une succession de séquences toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Un environnement idéal pour intégrer harmonieusement la storyline en cours et la volonté de Lio Rush d’impressionner Ricochet afin de rejoindre son futur clan. Un combat taillé sur mesure pour le public présent, qui sert de showcase à la lucha libre à la télévision nationale américaine tout en faisant avancer la narration. Une franche réussite, saluée comme telle.
Le character work de Ricochet est sensationnel. Il ose se mettre dans des situations peu flatteuses et en récolte constamment les bénéfices. Le combat tout entier s’appuie sur son travail de heel. Un travail qui permet de structurer l’ensemble et de déclencher les différentes phases du récit. Lio Rush rayonne également et marie habilement son style unique à une arrogance bien dosée. Un talent qui gagnerait à être davantage utilisé en weekly. Hologram souffre de quelques moments d’hésitation qui génèrent inévitablement des problèmes de timing et de placement. Il doit travailler à combler les vides situés entre ses séquences signatures autrement que par un striking qui manque souvent d’impact. À 24 ans, il a le temps. Mascara Dorada, lui, n’a pas ces problèmes et survole déjà la discipline du haut de ses 23 ans. À n’en pas douter le futur visage de la CMLL.
CMLL World’s Women Championship
Mercedes Moné bat Zeuxis (9 minutes)
Quand tous les matchs du show bénéficient d’un temps significatif pour raconter progressivement leurs histoires, les deux seules femmes présentes sur la carte (contre 32 hommes) sont dans l’obligation de se cantonner à un sprint. Comme trop souvent, elles réussissent malgré tout à faire avec les contraintes imposées et à maximiser le peu de temps qui leur est imparti en mettant en place plusieurs spots marquants. Malheureusement, elles n’ont que trop rarement l’occasion de briller autrement que dans l’urgence et de construire de réelles conséquences. La puissance de Zeuxis lui permet de garder le dessus pendant une bonne partie du match et de faire valoir une panoplie offensive brutale et incisive. Une approche téméraire qui va lui coûter le match. La victoire de Mercedes Moné ne faisant ici aucun doute, le choix de finir le combat de manière abrupte, sur un contre, est pertinent pour malgré tout créer un élément de surprise. La nouvelle championne CMLL ajoute une sixième ceinture à sa collection, au plus grand dam de ses détracteurs. Son personnage, en plus d’apporter de la visibilité et de l’imprévisibilité à la scène féminine mondiale, fait sens et se présente comme l’exact opposé d’une Toni Storm qui voue sa vie entière à la défense d’un seul titre qu’elle perçoit comme suprême. Pour Moné, le titre AEW est la cerise sur le gâteau. Pour Toni, c’est le gâteau tout entier.
10-men tag team match
Jon Moxley, The Beast Mortos, The Young Bucks & Wheeler Yuta battent Will Ospreay, Katsuyori Shibata, Swerve Strickland, Samoa Joe & Powerhouse Hobbs (16 minutes)
Will Ospreay ne cache pas sa joie d’enfin catcher à l’Arena Mexico. Au-delà de son talent, son expressivité est une force considérable. Une joie communicative et une connexion privilégiée avec les fans qui s’étend aujourd’hui à une nouvelle zone de la planète. Dans ce concours de popularité, il est pourtant devancé par Samoa Joe, le nouveau maire de Mexico City. Un accueil enflammé qui rappelle aux téléspectateurs US la place qu’il occupe dans le catch du 21ème siècle. La présence de Beast Mortos est un petit événement. À l’instar de Bandido, il était jusqu’à aujourd’hui interdit de se produire à l’Arena Mexico en raison de son affiliation passée avec la AAA.
Dans un format identique à celui de l’opener, on assiste à un main event de meilleure qualité encore grâce à un star power plus conséquent, des heels largement plus détestés et une construction qui laisse le temps aux participants de davantage jouer du moment. Un formidable carrousel qui voit Swerve Strickland et Will Ospreay travailler en parfaite harmonie jusqu’à l’intervention simultanée de Marina Shafir et des Young Bucks, offrant une victoire nécessaire à un Jon Moxley qu’on commençait à percevoir comme un second rôle tant la quête de son adversaire attire la lumière. Un recentrage qui fait du bien à l’équilibre général du récit. Le champion, c’est bien lui. Son face à face final avec Hangman est aussi réussi qu’électrique et ajoute une dose d’intrigue pour les épisodes prochains lorsque le Buckshot du cowboy rate sa cible et touche Matt Jackson. Hangman, bien que les yeux rivés sur son avenir, se voit continuellement renvoyé à ses relations passées. Un passé qui ne cesse de le rattraper et qui se présente comme son principal ennemi à la fin d’un épisode spécial, à bien des niveaux.
Grand Slam Mexico est un succès absolu. Une lettre d’amour à l’Arena Mexico, à ses fans et à son incomparable atmosphère. La AEW y pénètre en présentant un show jouissif, sans aucun segment backstage, pensé pour le plaisir live de ses talents. Un cadeau qu’elle leur offre. Tout a lieu devant la foule, car la foule est tout. La composante majeure de cet événement. Un spectacle de grande qualité rendu exceptionnel par un public mexicain qui transpire la passion par tous les pores. Il aime le catch et on l’aime pour ça. Il le comprend, le respecte et le vit. Une énergie débordante, organique et naturelle qui se ressent à travers l’écran. Les spectateurs réagissent au show, contribuent à celui-ci, sans toutefois se l’accaparer. Il n’y a pas d’objectif de faire du bruit. Il y a juste du bruit. Ils donnent leur voix et leur cœur, sans rien attendre en retour. Sans aucun autre but que de vivre pleinement le moment présent. L’acte est gratuit. Pur. Le catch sous sa forme la plus noble.
Texte : Le Dernier Rang
Crédits photo : Kevyn Mullen (@kevMullen23)